Problématique

L’évolution historique des différentes régions et pays du Sud a été déterminée par les conceptions théoriques du développement mises en œuvre localement. En effet, c’est sur la base de ces conceptions qui se sont définies les modalités d’organisation des sociétés, des économies, des formes d’insertion dans le monde globalisé.

Une grande partie des conceptions sur le développement a été soumise à ce qu’Arjun Appadurai appelle le « trajectorisme occidental », c’est-à-dire la tendance à suivre la voie et le chemin tracé par les pays centraux, en particulier par la modernisation « Version » européenne et nord-américaine. Cependant, au cours des dernières décennies, il a été possible d’observer de nouvelles idées et d’entendre de nouvelles voix qui interpellent les paradigmes hérités, et proposent de nouvelles formulations, plus en accord avec les problèmes et les contextes région (ou continent), et de chaque pays et son aire d’appartenance culturelle.Une série de processus constituent la toile de fond de ces développements : l’effondrement de l’Union Soviétique, la montée de la Chine au statut de superpuissance, les avancées technologiques par les commandes (technologies de l’information et des communications, la biotechnologie, la nanotechnologie, la biologie synthétique, l’intelligence artificielle, etc.), la prise de conscience croissante de la crise environnementale (changement climatique), la montée des mouvements d’affirmation identitaire et ethnique, de genre, etc. Dans ce contexte, des questions profondes ont même été posées au sein des idées de croissance et de développement. Les discussions sur ces questions ne se limitent pas à la sphère académique, où il existe une bibliographie abondante, mais elles traversent les discours et les pratiques des gouvernements, des organisations et des mouvements sociaux, et au sens plus large, de la création culturelle.Au niveau mondial, les conceptions sur le développement se traduisent par un ensemble de politiques et de pratiques qui génèrent des alliances, des tensions et des pressions, ainsi que des groupements et des coalitions très variées. Tout cela constitue une véritable « géopolitique du développement ». De ce point de vue, le monde apparaît comme un espace « organisé » en grands blocs. La géopolitique du développement peut être analysée à partir de différents points de vue. Par exemple, l’approche centre / périphérie, très présente dans la tradition latino-américaine, distingue les relations structurées autour d’un Nord dominant et d’un Sud dépendant. Un autre exemple est l’approche civilisationnelle, qui met l’accent sur les affinités politiques entre les pays qui partagent « la même » tradition culturelle. L’articulation entre cette perspective et l’approche centre / périphérie n’est pas automatique, bien qu’elle puisse présenter des zones d’intersection, étant donné que le « centre » coïncide largement avec ce qu’il désigne comme «civilisation occidentale » (cf Samuel Huntington et autres). Il faut noter que dans le nouveau contexte géopolitique mondial, les relations entre les pays du Sud se sont intensifiées, ce qui a fait naître une nouvelle notion, le « Sud global » (en partie elle nous rappelle ce qui dans les années 1950 avait été désigné comme le Tiers Monde) et d’autres tels que « Epistemologías del Sur » (Boaventura de Sousa Santos). S’il est vrai que les régions et les pays qui composent le Sud global ont joué un rôle relativement marginal dans la logique de modernisation et de développement, il est également vrai qu’ils contestent de plus en plus la primauté exclusive des pays centraux dans divers ordres.

Quatre questions principales sont posées autour d´une « nouvelle géopolitique du développement » :

1.     Quels sont les différentes conceptions, discours et modulations sur le développement dans les pays du Sud ? Dans quelles trajectoires idéologiques et culturelles sont-ils inscrits ?

2.     Quelles sont les images futures que chacune des conceptions du développement soulève sur les relations entre pays et régions, les avancées technologiques et leur diffusion / appropriation, l’utilisation durable des ressources naturelles et la production d´aliments, aux processus socio-culturels clés tels que la démocratie, le déplacement de population, l’équité sociale et de genre ?

3.     De quelle manière l’intersection entre les conceptions sur le développement et les images futures identifiées génèrent / activent / se traduisent-elle en politiques et pratiques concrètes ?

4.     Quelles sont les opportunités pour construire des espaces de dialogue interculturel et inter civilisationnel et pour réguler les conflits qui pointent vers la « géopolitique du développement » en devenir ?

À propos de la Rencontre à Rabat : Bases, fonctionnalités, produits attendus

Compte tenu de ces problèmes, la Rencontre de Rabat (RR) est un espace de débat et de traitement de ces grands questionnements dans le Sud global. Cette rencontre permettra de servir de point de départ à l’organisation et à l’élaboration de trois produits concrets qui délimitent et structurent un parcours de travail vers l’avenir. Ces produits issus de cet événement sont :

1.     La création et l’organisation d’un réseau international pour penser ces problèmes. Ce réseau, appelé IDAAA (Ideas sobre el desarrollo en América Latina, Africa y Asia / Idées sur le Développement en Amérique Latine, en Afrique et en Asie / Ideas about development in Latin America, Africa and Asia), aura un secrétariat permanent (avec un siège central dans l’Académie Royale du Maroc) avec un coordinateur dans chacun des espaces / continent de travail. Outre la promotion de réunions et de débats sur la question du développement, l’un des principaux objectifs du réseau consistera à présenter des approches et des perspectives du Sud dans le Sud, ce qui requiert des promoteurs polyvalents, susceptibles d’enrichir le dialogue Sud-Sud.

2.     Un document court, directement dérivé de la rencontre, qui regroupe des versions synthétiques des communications présentées par les participants. Ce document sera disponible en ligne, sur un site Web ad hoc, sur le site Web de l’Académie Royale du Maroc et, éventuellement sur papier. De cette manière, la réunion et le document de synthèse fonctionneraient comme jalons fondateurs du réseau IDAAA. Ce document pourrait être disponible quelques semaines après la RR

3.     Un ouvrage collectif qui rassemble des versions élargies et approfondies des communications présentées par les participants, intégrant également une série de contributions supplémentaires – celles-ci jugées nécessaires pour obtenir une image plus satisfaisante des problèmes traités. Le livre pourrait rassembler plusieurs collaborateurs supplémentaires, élargissant ainsi la couverture spatiale, thématique et disciplinaire. Ce produit pourrait être disponible fin 2019.

Esprit et contenu des travaux des intervenants

Les travaux à présenter par les exposants devraient contenir trois éléments ou problématiques majeurs :

1. Analyse des trajectoires de développement de chaque zone continentale·

Indicateurs classiques sur la performance socioéconomique. Création et distribution de la richesse (PIB, PNB, Gini). Exportations, importations. Infrastructure Variations dans le domaine socioculturel / civilisationnel.·

Structure politico-institutionnelle. Des organismes, politiques publiques, efforts d’intégration régionale. Insertion globale. Bilatéralisme, multilatéralisme, blocs.·

Lien entre les modèles de développement, la nature et les modes d’habiter les territoires.

2. Théories, approches et discours sur le développement en cours. Il est intéressant de présenter dans cette partie les théories, les approches et les discours sur le développement qui prévaut dans chacun des espaces (continents). Proposition de classement des discours du développement en place.

3. Horizons alternatifs, dialogues

Cette partie devrait aborder la question des futurs possibles, souhaitables ou non. Considérant les différents points de vue, ce qui met l’accent sur les solutions technologiques et aussi les approches critiques de la notion même de développement, qui trouve son origine dans certains cas dans les traditions de chacun des pays ou régions. En ce sens, la possibilité s’ouvre pour établir des dialogues interculturels ou inter-civilisations entre les différentes recherches, propositions.L’idée est que chaque référent participant puisse définir un panorama relatif à son continent (domaine socioculturel ou civilisationnel), dans lequel les principaux aspects indiqués dans l’énumération précédente sont couverts, dans toute la mesure du possible. Sans laisser de côté la référence au contexte historique, dont la prise en compte dans beaucoup de cas clés est nécessaire pour comprendre l’actualité, il est suggéré que les référents attirent l’attention dans la période qui s’ouvre depuis 1990, nouvelle phase de la mondialisation, déjà sans l’Union Soviétique et la Guerre Froide, avec la Chine comme le premier acteur de l’économie et de la politique internationales et, à partir du Rapport Bruntland, avec la question du développement durable au centre de tous les agendas de développement.

Intervenants

La RR a été conçue comme une activité à court terme. De ce fait, il est suggéré que le nombre d’exposants ne soit pas supérieur à 15. Il serait optimal d’avoir des références en provenance d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Tout en considérant que, en termes socioculturels ou civilisationnels, les désignations continentales ne sont pas entièrement satisfaisantes, il est suggéré de penser, au moins pour le cas de l’Afrique, dans les références du Maghreb et de l’Afrique Subsaharienne et, dans le cas de l’Asie, dans les référents de Chine, d’Inde, d’Asie du Sud-Est et du Proche-Orient (les délimitations peuvent naturellement être débattues).

Un esprit d’interdisciplinarité et d’intégration

Nous partageons pleinement l’accent mis sur la nécessité d’intégrer la dimension interdisciplinaire dans la Rencontre à Rabat et dans la dynamique du réseau IDAAA. Pour cette raison, les référents de chaque espace culturel ou chaque champ civilisationnel feront l´effort d’intégrer la dimension interdisciplinaire, mais également « ouvrir le jeu » à des références d’autres disciplines ou perspectives. Il faudra penser à l’économie et les disciplines des sciences sociales (sociologie, anthropologie, sciences politiques, relations internationales), mais aussi, par exemple, à l’aspect technologique au sens strict du terme, dans la perspective environnementale, et artistique. Même quand il est impossible d’avoir la présence physique de représentants de toutes les approches dans le RR, la conception du réseau doit assurer leur intégration.