
Recherche sur l'histoire du Maroc. Etats des lieux et perspectives
Rabat, 27-28 janvier 2022
Au Maroc, comme ailleurs dans le monde, l’histoire est, aujourd’hui, l’objet d’une demande sociale accrue. Les attentes des citoyens en la matière confirment, à l’échelle planétaire, une idée en cours depuis fort longtemps déjà : l’intérêt attaché au passé, y compris le plus lointain, est en lien avec les préoccupations et les interrogations du présent.
Les facteurs explicatifs de pareille situation sont nombreux et complexes. En font partie, pour l’époque contemporaine, la quête de repères dans le contexte des profondes mutations structurelles d’ordre économique, social et culturel (au sens anthropologique) générées par la mondialisation. Ces bouleversements ont généré toutes sortes de questionnements et de conflits de type identitaire, ou présentés comme tels.
D’un énorme intérêt pour les études du Temps Présent et l’histoire immédiate, cette évolution se situe dans un contexte également marqué par les appréhensions que suscitent le réchauffement climatique et les risques que cela comporte pour l’humanité. La multiplication des cris d’alarme que lancent des écologistes, et plus particulièrement des jeunes, à l’occasion de la tenue de la COP 26 à Glasgow, est l’une des manifestations de la prise de conscience aigüe du danger à terme de telles menaces.
L’actuelle pandémie a aggravé la situation et ses incertitudes. La rapide propagation de cette épidémie dans un monde de plus en plus en plus connecté, et interdépendant à maints égards, a eu en effet d’innombrables répercussions d’ordre humain, économique, psychologique et autre. Elle a ainsi entraîné le creusement des inégalités entre les pays riches et ceux, par exemple, de l’Afrique sub-saharienne. L’enjeu des vaccins, supposés « biens communs de toute l’humanité », d’après les préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé, en est l’un des indices les plus flagrants.
En tout cas, le souci de « revisiter » le passé, de vouloir en tirer des « leçons », et d’y chercher des éclairages pour mieux comprendre le présent et essayer de scruter l’avenir, ne va pas sans paradoxes.
A l’instar de leurs homologues étrangers, les historiens marocains de métier en font eux aussi le constat. Ils relèvent à cet effet la prolifération et la diversité des écritures et des ré – écritures non académiques s’insérant de facto dans le champ de leur spécialité. En témoigne le flux, à la fois considérable et incontrôlable, de ce qui est « posté » en la matière sur les réseaux sociaux et les plateformes numériques.
La discipline histoire et, plus précisément les critères fondamentaux qui en font la spécificité et ont assuré son magistère, se trouvent en fait confrontés à de multiples défis et, parfois, des remises en cause radicales. Ceux qui contestent le statut scientifique de l’histoire, vont parfois jusqu’à la réduire à de simples « reconstructions », de type romanesque, voire de fiction, sans rapport, arguent-ils, avec les événements et les faits « tels qu’ils se sont réellement produits ». D’autres se l’approprient sans adhérer pour autant à l’approche par laquelle elle se distingue, en particulier le recours aux archives et à d’autres sources, leur croisement, leur lecture critique, et, avant tout, la prise en compte du contexte général dans lequel s’inscrit leur « récit » ou leur « discours ».
Quelques historiens de renom international se sont élevés, en termes quasiment martiaux, contre une telle évolution. Ils ont réagi, plus particulièrement, aux assertions des théoriciens et tenants du « linguistic turn ». Ils ont lancé à leurs collègues du monde entier des appels à la mobilisation pour la défense de leur discipline, de la rigueur de son approche, et de la place éminente qu’elle occupe dans les sciences humaines et la culture, ainsi que des fonctions qui sont habituellement les siennes parmi les peuples et les nations.
Dans le cas du Maroc, fort significatives sont les références à l’histoire dans la Constitution du Royaume. Son Préambule ne peut qu’interpeller les chercheurs et les inciter à approfondir leurs recherches. D’autant que l’épineuse question des archives qui se posait auparavant avec une grande acuité, n’est plus un obstacle.
Les fonds de la Direction des Archives Royales sont ainsi devenus largement accessibles. Leur classement a été mené de manière systématique et répertorié selon les critères les plus modernes. Il en est de même des Archives du Maroc. De telles conditions devraient favoriser en principe l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes chercheurs. Certains d’entre eux se sont d’ailleurs investis dans le champ encore inexploré que sont le Temps Présent et l’histoire immédiate. Les premiers résultats sont, au niveau des mémoires du Master et des thèses de doctorat, prometteurs. Ils pourraient contribuer, avec les acquis réalisés en particulier depuis les années 1970-1980, à une accumulation de qualité susceptible de favoriser la formation progressive d’une véritable « école historique (ou historienne) marocaine » ouverte sur les autres disciplines et sur le monde.
Une fois concrétisé, le projet de création d’une Maison de l’histoire du Maroc, actuellement piloté par la Fondation de l’Académie du Royaume, est appelé à s’insérer lui aussi dans cette dynamique, à l’impulser, et à contribuer à la diffusion du savoir historique et des critères sur lesquels il se fonde.
Toutes ces avancées sont de nature à jouer un rôle de première importance dans la préservation du positionnement de l’Université, voire de sa centralité, dans l’écriture de l’histoire du pays. Il en est de même au niveau de sa culture, de manière plus générale, notamment dans la mesure où elle représente un enjeu essentiel en tant que levier du développement.
Les expériences réussies d’un certain nombre de pays dits “émergents” notamment en Asie en témoignent. Il serait sans doute utile d’en faire l’objet d’études comparatives dépassant en profondeur de simples “bench marks”. Cette nécessité est apparue nettement los de la session annuelle consacrée par l’Académie du Royaume à l’Asie (Japon, Chine, Inde) – assortie de conférences préliminaires, dont l’une fut dédiée à la Corée du Sud, puissance industrielle à la pointe des technologies les plus modernes.
C’est dans ce contexte global que se tiendra le colloque consacré à l’esquisse d’un état des lieux de l’écriture et ré -écriture de l’histoire du Maroc, toutes périodes confondues. Il s’agira aussi de scruter les perspectives que pourraient ouvrir l’investissement de champs encore inexplorés, et la réflexion sur des thèmes nouveaux et des approches novatrices ouvertes, bien évidemment, à la pluridisciplinarité, plus particulièrement la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, la littérature et d’autres domaines relevant des sciences humaines et sociales. Des pédagogues et des didacticiens y seront également associés, dans la mesure où s’impose l’impérieuse nécessité de se pencher sur les voies et moyens de promouvoir de manière méthodique et efficiente l’histoire parmi les jeunes et le grand public.
L’examen de l’accumulation réalisée en matière de recherche sur l’histoire du Maroc, dans ses universités et à l’étranger exclue, à ce stade, toute velléité d’exhaustivité. D’autant que le colloque sera suivi périodiquement de séminaires ou de workshops thématiques spécifiques. D’ici là, il pourrait s’articuler provisoirement, et dans l’attente de la programmation effective qui sera élaborée sur la base des intitulés et abstracts qui seront proposés par les collègues, autour des axes suivants :
- La question des archives et des sources à l’ère du numérique.
- Interrogations autour de la périodisation.
- Rétrospective sur les contributions de « l’école de Rabat ».
- Apports de la nouvelle génération d’historiens.
- Recherches sur l’histoire du Maroc à l’étranger.
- « La demande sociale d’histoire » au Maroc et parmi les Marocains du Monde.
- Histoire, mémoire, medias, plateformes numériques.
- L’histoire dans les manuels scolaires.
- Perspectives d’impulsion de la recherche sur l’histoire du Maroc.
- La promotion de l’histoire dans la sphère publique.
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